Lors d’un entretien avec l'expert Marc Ehrlich, PDG de Retripa Vipa, nous nous sommes penchés non seulement sur les évolutions actuelles du marché du papier et du carton, mais aussi sur les défis qu'elles posent aux municipalités et aux déchèteries.
Marc Ehrlich, vous avec beaucoup d’expérience dans le marché du papier. Ces dernières années, il y a eu des hauts et des bas. Début 2020, les prix se sont effondrés, mais ils sont aujourd’hui de nouveau à un niveau acceptable. Que pouvez-vous nous dire sur la situation actuelle ?
Même avant la pandémie, la quantité de carton était en augmentation continue, à cause des achats en ligne. La pandémie a renforcé ce développement et, en plus, les gens se sont désabonnés des journaux et magazines papier. Du coup, nous avons constaté une grande augmentation des quantités de carton dans la collecte des ménages, une diminution des cartons des commerces et une diminution des papiers collectés.
Ce n’est qu’avec le temps que nous verrons si les habitudes prises pendant cette période exceptionnelle vont s’installer définitivement, ou si les gens vont d’autant plus apprécier le service des commerces.
Les commerces, qui étaient bien organisés pour la collecte des cartons, ont vu leurs quantités baisser suite aux fermetures successives pour des raisons sanitaires. La qualité y était relativement homogène et la propreté assurée, des compacteurs leur permettent de réduire le volume et d’optimiser les transports.
En même temps, les quantités de cartons collectés par les communes a augmenté de manière disproportionnelle. La plupart des communes ne sont pas encore équipées pour gérer ce flux et surtout, pour en assurer la qualité.
Quel est le plus grand défi à relever pour les communes ?
La qualité de la matière est primordiale. La collecte du papier-carton mélangé dans les communes a toujours été un facteur de diminution de la qualité. L’augmentation de la quantité de carton est un enjeu majeur. Quand un conteneur d’un immeuble déborde, les habitants ont vite fait de jeter les matières valorisables au mauvais endroit. Ces erreurs de tri diminuent la qualité de toutes les matières, et la qualité du recyclage. Il faut donc proposer les bons conteneurs au bon endroit, les vider aussi souvent que nécessaire et communiquer sur l’importance de la qualité.
« Pour augmenter la qualité, il faut sensibiliser la population. Il faut être conscient que la mauvaise qualité coûte cher et qu’elle est mauvaise pour l’environnement. »
Il existe un « megatrend » qui consiste à remplacer les emballages en plastique par des emballages en papier, on voit même des bouteilles de boissons en papier et d’autres emballages qui traditionnellement étaient en plastique. Quel est votre point de vue ?
Actuellement, les quantités de ce genre d’emballages sont encore marginales. A mon avis, ce n’est pas un sujet brûlant. L’Europe est en train de trop légiférer. Il s’agit d’une tendance contre-productive, mais le remède est pire que le mal.
Pour rester sur l’exemple des bouteilles en papier, il s’agit d’un emballage papier autour d’un plastique ; ce genre d’emballage va polluer le flux des papiers-cartons traditionnels. C’est malheureux, les consommateurs ont l’impression de bien faire, mais on ne pourra pas le recycler dans le flux papier-carton.
Par principe, le papier et le carton se décomposent quand ils sont en contact avec de l’humidité ou un liquide. Donc s’ils sont traités pour résister, ils ne pourront pas être recyclés dans le flux de recyclage papier-carton. De plus, la norme EN 643 qui définit les qualités de papier et de carton interdit de recycler les papiers-cartons qui ont été en contact avec des aliments.
Est-ce que vous pensez que de nouvelles technologies de tri pourront améliorer davantage la qualité du papier-carton ?
Les installations de tri sont à maturation et le marché suisse est bien équipé. La recherche scientifique essaie de trouver des solutions pour les pays qui ne pratiquent pas la collecte sélective. Ce qu’on oublie de dire, c’est que les matériaux sont de mauvaise qualité - on parle de pollution croisée. Par exemple, si vous collectez des briques à boissons avec les papiers-cartons, vous aurez toujours un peu de liquide qui se mélangera avec le papier-carton. Les filières de recyclage ne veulent pas de ces produits.
Heureusement, en Suisse les collectivités et la population sont très consciencieuses. La collecte sélective est un bon moyen pour garantir la qualité de la valorisation matière.
Que pouvez-vous dire sur l’évolution des prix ?
Actuellement, les prix augmentent fortement. Au début de la pandémie (mars à juin 2020), des déchèteries ont été fermées et de grandes quantités ont été incinérées. Cela s’est traduit par un manque de matière à recycler.
A la sortie de la pandémie, nous devrions voir ces éléments se corriger. Toutefois, lorsque l’économie est en récession, les prix des vieux papiers sont généralement en baisse et on ne sait pas encore si les changements d’habitude vont persister.
Selon vous, quel sera le développement futur ?
Il est très difficile de prédire l’avenir. Les gens se sont désabonnés des journaux papiers pendant le covid, je pense que c’est irréversible car c’est la digitalisation des médias, mais ça va s’équilibrer. Concernant les cartons, la grande question est celle du commerce en ligne. Si la population préfère commander en ligne plutôt que d’aller au magasin, les quantités de carton vont continuer à augmenter dans les communes.
Quel serait votre message aux communes suisses ?
Pour augmenter la qualité, il faut sensibiliser la population. Il faut être conscient que la mauvaise qualité coûte cher. C’est aussi mauvais pour l’environnement car on ne peut pas recycler des papiers-cartons de mauvaise qualité, et personne n’y gagne. Voici ce que je préconise :
Le recyclage du papier-carton économise les ressources, mais diminue aussi l’utilisation des produits chimiques de 2/3.
Le groupe Retripa Vipa
Ce groupe, entièrement en mains familiales, a été créé par l’idée visionnaire de M. Michel Ehrlich en 1965. M. Michel Ehrlich nous a malheureusement quittés en avril 2021.
Le groupe est constitué de 2 entreprises distinctes et indépendantes :
Retripa est une entreprise active dans tous les cantons romands et compte 200 collaborateurs, gère 6 centres de tri à la pointe de la technologie ainsi que 30 déchèteries intercommunales. Retripa est le leader du recyclage du papier-carton en Suisse romande et l’un des principaux fournisseurs des usines suisses. Il est également leader en Suisse romande dans le recyclage du vieux bois et la collecte de verre. Retripa est par ailleurs très actif dans la collecte des ordures ménagères et la gestion globale des déchets pour les grandes entreprises.
Vipa est le plus grand marchand mondial indépendant de vieux papiers. L’entreprise est active dans plus de 100 pays et commercialise plus de 3 mio de tonnes par année. L’Europe et les Etats-Unis sont en excédent de vieux papiers, alors que l’Asie est en déficit. Vipa crée le lien entre ces marchés.